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Introduction, réintroduction ou retour naturel ?

Depuis des millénaires, l’Homme a déplacé et relâché dans la nature des animaux domestiques ou captifs d’un endroit à un autre pour établir de nouvelles ressources alimentaires ou pour des raisons esthétiques et de loisirs. Des déplacements d’espèces natives au sein de leur aire de répartition ont également été réalisés pour reconstituer des stocks d’espèces chassées. Dans le Mercantour, des réintroductions d'espèces ont été réalisées pour des raisons écologiques.
Mais finalement, entre réintroduction, introduction et retour naturel d'une espèce, de quoi parle-t-on vraiment ?

 

La réintroduction

Récemment, suite à la prise de conscience de la nécessité de conserver la diversité biologique pour faire face aux extinctions d’espèces et répondre à l'enjeu de maintien des équilibres naturels, de nombreuses opérations de réintroduction ont été menées à travers le monde. La réintroduction d’espèces correspond à un essai d’implanter une espèce dans une zone qu’elle occupait autrefois, mais d’où elle a été éliminée ou d’où elle a disparu. Ces opérations souvent délicates sont encadrées par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

Une réintroduction doit être réalisée pour rétablir dans la nature une espèce ayant disparu du milieu naturel dans son habitat et son aire de répartition naturelle antérieure. Les objectifs sont par exemple d’améliorer les chances de survie à long terme de l’espèce en favorisant les échanges entre différentes populations autrefois isolées. Ils répondent aussi à l'enjeu de restaurer ou d'améliorer les équilibres naturels, proie/prédateur par exemple. La plupart des programmes de réintroduction concernent des espèces « emblématiques » possédant un capital sympathie auprès du public, permettant de mobiliser des fonds importants. Ces espèces sont généralement de grandes tailles et longévives. Les opérations de réintroduction portent en ce sens de forts enjeux de sensibilisation du public à la préservation de la biodiversité.

La réintroduction d’une espèce ne peut avoir lieu que si les causes de son extinction ont été enrayées, si les exigences de cette espèce en matière d’habitat sont satisfaites et si l’espèce est viable en liberté.

Dans le Parc national du Mercantour, deux réintroductions couronnées de succès ont concerné deux espèces emblématiques : le Bouquetin des Alpes et le Gypaète barbu.

 

Un mâle de bouquetin des Alpes (Capra ibex) dans la neige au mois de janvier
Un mâle de bouquetin des Alpes (Capra ibex) dans la neige au mois de janvier, par Robert Valarcher/PNM

 

A la création du Parc, quelques bouquetins venaient d'Italie passer l'été sur les sommets des vallées de la Roya et de la Vésubie. Ces animaux étaient eux-mêmes issus d'opérations de réintroduction menées au début du siècle dernier dans le massif de l'Argentera. En 1987, en partenariat avec le Parco naturale dell'Argentera devenu aujourd'hui Ente di gestione delle Aree protette delle Alpi Marittime, plusieurs opérations de réintroduction de bouquetins dans la partie nord-ouest du Parc (Ubaye, Verdon, haut-Var) ont eu lieu. Ces opérations furent suivies en 2005 et 2006 de deux lâchers de bouquetins venant d'autres massifs afin d'apporter de la diversité génétique à la population initiale. Aujourd'hui, près de 1 600 bouquetins parcourent paisiblement le territoire du Mercantour. Ils étendent chaque année un peu plus leur aire de répartition, car de nombreuses zones favorables restent à coloniser !

 

Gypaète barbu en vol
Gypaète barbu en vol, par C.Joulot/PNM

 

Le gypaète barbu qui avait totalement disparu du massif alpin a pour sa part fait l'objet d'un ambitieux programme de réintroduction à l'échelle des Alpes. Après un premier lâcher en Autriche en 1986, le Parc national du Mercantour se lance dans l'aventure en 1993 où les trois premiers oiseaux sont relâchés. Entre 1993 et 2013, 21 gypaètes seront relâchés sur le territoire du Mercantour. A travers tout l'arc alpin des opérations similaires sont menées.

Certains gypaètes relâchés sont équipés de balises permettant de les localiser. On découvre alors des déplacements très importants, certains individus parcourant toutes les Alpes pendant plusieurs années avant de se fixer sur un territoire.

Dans le Mercantour, en haute-Ubaye, le premier succès de reproduction de l'espèce est constaté en 2008. Le poussin qui s'envole est nommé Parouart. Depuis, 4 couples se sont installés sur notre territoire : 2 en Haute Ubaye et 2 en Haute Tinée. En 2017, 3 gypaétons se sont envolés avec succès.

 

L'introduction

 

A la différence d'une réintroduction, une introduction va amener une espèce dans un milieu ou sur un territoire où elle n'a jamais vécu, il s'agit d'une espèce dite "exogène". Ces opérations peuvent être volontaires, à des fins cynégétiques ou encore esthétiques, ou involontaires lorsque quelques individus s'échappent d'un élevage ou encore lorsque des plantes exotiques sont dispersées hors des jardins.

 

Mouflon mâle en automne
Mouflon mâle en automne, par J.Blanc

 

Dans le Mercantour, le mouflon Corse a été introduit car il s'agit d'un très bel animal et d'un gibier prestigieux. L'objectif initial de son introduction était donc cynégétique. Or le mouflon est mal adapté à nos reliefs très accidentés et aux hivers rigoureux. Les années où l'enneigement est important, on peut constater une forte mortalité des adultes. De plus, les jeunes naissent très tôt en saison, parfois dès fin février, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux sursauts tardifs de l'hiver. Toutefois, certaines populations ont prospéré dans la Mercantour, notamment dans les vallées de la Tinée et de la Vésubie. Mais lorsque le loup est réapparu sur notre territoire, le mouflon a constitué la proie idéale : il se déplace très mal sur la neige et constitue de gros troupeaux, certaines populations se sont alors effondrées. Aujourd'hui, de nombreux mouflons sont encore présents sur notre territoire, ils semblent s'être quelque peu adaptés à la menace lupine : on voit peu de grandes hardes, les animaux sont plus dispersés et plus alertes.

Concernant la flore, de nombreuses espèces ont été introduites pour être cultivées, c'est par exemple le cas du châtaignier. D'autres ont été plantées dans les jardins comme plantes ornementales et certaines se sont "échappées" pour aller coloniser le milieu naturel, on peut citer l'exemple du mimosa. Le problème est que, la plupart du temps, ces plantes exogènes entrent en compétition avec les plantes locales et peuvent parfois coloniser de vastes territoires en éliminant les espèces natives. Un exemple de plante très invasive dans le Mercantour est l'hélanthe.

 

Le retour naturel

 

Des espèces enfin ont totalement disparu de certains territoires : elles ont été victimes de surchasse, de campagne d'extermination car elles étaient considérées comme nuisibles ou encore parce que leurs habitats ont été détruits.

Toutefois, à la faveur d'un statut de protection stricte et avec des milieux naturels qui évoluent en permanence et redeviennent parfois favorables aux espèces, certaines ont pu faire leur retour sur le territoire du Mercantour. Il s'agit souvent d'espèces de grande taille capables d'effectuer des déplacements importants.

L'exemple le plus célèbre est celui du retour du loup. Il était présent autrefois sur l'ensemble du territoire français, il a été totalement éradiqué au début du XXème siècle mais il n'a jamais disparu d'Italie. Les populations des Abruzzes (Italie centrale) se sont développées et ont peu à peu colonisé de nouveaux territoires, remontant la chaîne des Apennins jusqu'à atteindre les Alpes françaises méridionales au début des années 1990. Les deux premiers loups sont observés en 1992 dans le massif du Mercantour. Profitant de l'augmentation des zones forestières, en partie due à la déprise agricole, et à l'accroissement des populations d'ongulés sauvages, ces deux pionniers seront suivis par de nombreux autres, qui s'installeront petit à petit sur tout le massif du Mercantour, puis sur le massif alpin, certains iront même jusqu'aux Pyrénées et aux Vosges. En effet, le loup est une espèce capable de parcourir des distances très importantes et de traverser des habitats très anthropisés.

 

Un loup couché sous un mélèze
Un loup couché sous un mélèze, par C.Robion

 

Nous pouvons également citer le vautour fauve, qui a bénéficié de campagnes de réintroduction, notamment dans les Alpes du Nord, et qui est revenu naturellement dans le ciel du Mercantour depuis quelques années. Aujourd'hui, de nombreux vautours viennent passer l'été dans le Mercantour, profitant de la présence d'un grand nombre de troupeaux domestiques, dont certains animaux meurent en estive. Ces grands planeurs se déplacent sans effort sur de grandes distances et quand l'hiver arrive et que les troupeaux quittent les alpages, ils retournent sur leurs zones de reproduction. Peut-être qu'un jour, ils fonderont une colonie reproductrice dans le Mercantour...

 

 Vautour fauve ( Gyps fulvus ) au plumage juvénile posé sur un rocher
Vautour fauve ( Gyps fulvus ) au plumage juvénile posé sur un rocher, par Laurent Martin-Dhermont/PNM