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Jean-Pierre Vassallo

Vallée de la Roya-Bévéra

Maire de Tende depuis 2001

"On a été des Européens avant l’heure. Nous, les frontières ne nous ont jamais séparés." 

 

Jean-Pierre Vassallo

Portrait par Eric Lenglemetz
Recueil de témoignage par Noëlie Pansiot

 

L’histoire de mon village

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La route du sel

En 1388, les Vintimille avait commencé à céder toutes leurs terres à la Maison d’Anjou qui détenait la Provence. Nice est réduite à la famine et la disette et va demander la protection de la Maison de Savoie. Nice devient savoyarde. Mais nous, on reste comté à part : le Comté de Tende, avec Tende, Limone, Vernante de l’autre côté, actuellement italiens. Et la puissance de ce grand comté, c’est qu’en 1388, la Savoie a pris comme port Villefranche et non pas Nice. La Savoie a aussi transféré sa capitale de Chambéry à Turin. La Savoie avait donc son port à Villefranche et sa capitale à Turin, et pour alimenter toute la Savoie, il fallait passer par ici. C’était le trajet le moins exposé aux intempéries, le plus facile pour passer. Et ici, à ce moment-là, sont passés 45 000 mulets, qui transportaient du sel. C’est là, la route du sel et ici passaient 45 000 mulets qui transportaient 600 000 rubs de sel. Le rub, c’était l’unité piémontaise de l’époque : un rub, c’était 9kg 225. Les mulets payaient pour passer, les comtes de Tende faisaient payer un péage et c’est là qu’on s’est énormément enrichis.

Cette grande histoire de cette commune tout à fait exceptionnelle n’a pas encore été assez mise en valeur. Nous, en 1460 quand la Maison d’Anjou vend ses terres à la Provence, elle vend ses terres à la France : on rend indirectement hommage au Roi de France. On ne devient savoyard qu’en 1580, avec l’autorisation d’Henri III, roi de France.

Et c’est là, en 1580, qu’on commence à perdre la puissance qu’on avait.

Tende, c’est un village atypique, un village extraordinaire.

 

Un territoire sans frontière

Ce qui est vraiment fantastique, c’est qu’on a vraiment gardé cet esprit transfrontalier. 

On a été des Européens avant l’heure. Nous, les frontières ne nous ont jamais séparés.

Une partie de nos familles sont encore de l’autre côté. On se rencontre quotidiennement. Moi, quand je vais à Limone de l’autre côté, je ne dis pas, je vais en Italie : je vais à Limone. Quand les gens de Limone viennent ici, ils disent : je vais à Tende. 

Et ce brassage est extraordinaire, personne n’a pu vivre cela. Et nous en sommes fiers aujourd’hui, parce que nous nous sentons appartenir à un même territoire. Nous avons les mêmes origines. Moi, ce ne sont pas mes cousins, ce sont mes frères, les Italiens. Et eux me considèrent comme ça.

C’est quelque chose de joli. Je parle mon patois, le piémontais, le ligure parle son patois, le niçois parle son patois. On peut discuter tous les 3 ensemble, chacun parle son patois et on se comprend parfaitement. (il parle en tendasque)

Je suis vraiment heureux de toujours avoir été européen et je suis fier de toujours avoir pu communiquer avec mes frères italiens comme si c’était des membres de ma famille.

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