Partager

Christian Lorenzetti

Vallée de la Vésubie

Accompagnateur en montagne et conteur

"Les montagnes aussi ont des choses à dire. Elles ont vu tellement de gens passer, tellement de choses, mais on oublie de leur demander."

 

Christian Lorenzetti

Portrait par Eric Lenglemetz
Recueil de témoignage par Noëlie Pansiot

 

Aller voir ailleurs

Ecole de commerce, cadre, machin, consultant en gestion…. Et un beau jour, on m’a demandé si je voulais aller voir ailleurs s’il faisait bon vivre. Alors je suis allé voir ailleurs et ailleurs, franchement, il fait bon vivre !

Le tout c’est d’arriver à trouver son ailleurs… et puis une relation sincère, directe avec les gens. Le monde d’avant était plein d’attentes, de postures figées alors que là, notamment en travaillant avec des enfants, on n’est pas dans la construction. Ou ça passe ou ça ne passe pas et d’une manière générale c’est top.

 

Conter

Le conte, c’est extraordinaire parce que tous les enfants savent que c’est un autre monde, un revers de quelque chose et pourtant, ils rentrent dedans, ils y croient. Les yeux, la peur qui arrive lorsque je raconte certaines contes : "non ! Oh non." Tout cela, on le voit dans les yeux des enfants et ça, c’est excellent.

Les contes, c’est donner des images aux gens avec des mots.

Bien sûr, il y a une histoire, une trame, mais l’histoire peut finalement être faite très vite. Le pitch d’un film se fait en moins d’une minute. Le conteur ensuite va mettre quelque chose dans la tête des gens. Avec des mots, il leur offre des images. C’est cela la grande liberté du conte et du conteur : il n’impose rien. Il a une histoire qui lui vient d’un côté ou qu’il a choisie, voire même qu’il a créée. Ensuite, il la transmet à quelqu’un d’autre. Il n’y a pas d’égo, de « moi, je suis conteur ». Non, c’est juste « Ecoutez mon histoire ». Et si cette histoire vous plaît, vous la raconterez après. C'est ça ’émerveillement : lorsque quelqu’un a digéré ton histoire et repart avec.

Soundcloud

 

Du partage aux chemins

Le partage est fondamental parce que ce que nous sommes les uns les autres, nous le devons à nos amis, nos familles et nos rencontres. On ne se construit pas tout seul, en tout cas, je le vois comme ça. Donc pouvoir renvoyer un petit quelque chose, ouvrir une porte, cela me parle beaucoup. Un jour, j’ai croisé un ermite avec des jeunes en formation, sur le rocher de Roquebrune. C’était un vieux monsieur, un ancien prêtre, qui avait 80 ans passés et vivait dans sa grotte. Les jeunes sont allé le voir. Les mêmes qui ne peuvent pas se passer d’un téléphone, d’une console ou d’une télé. Ils ne comprenaient pas qu’un homme puisse rester tout seul dans une caverne. Ils ont discuté et échangé un petit peu et moi avant que je ne les rejoigne. Ce monsieur, frère Antoine, m'a regardé et m'a dit : « Et vous, qu’est-ce que vous leur apprenez ? ». J’ai senti le piège et la difficulté de répondre. Après quelques secondes, il m’est venu une belle réponse : 

« Moi, je ne leur apprends pas grand chose, je leur montre simplement des chemins ».

Parfois, une simple rencontre comme ça peut devenir un conte et ouvrir un chemin. Une autre fois aussi, un monsieur un peu coincé lors d'un repas officiel m'a demandé: « Et vous, qu’est-ce que vous faites ? ». Et je lui ai répondu : « Je sème des graines dans la tête de enfants. ».

Après, il faut voir si la graine prend ou pas… Est-ce qu’on l’arrose ? Est-ce que le terreau est bon ? Ca dépend.... Mais moi, comme semeur de graines, j’ai accompli ma tâche. Après, advienne que pourra, je ne suis pas là pour arroser, tout le temps !

 

Les leçons de la nature

Finalement, il n’y à qu’à regarder la nature et les leçons, on les a. Les amérindiens n’avaient pas d’écoles, ils avaient des contes et ils apprenaient aux enfants la vie et le monde à travers les contes. Leur culture était abordée comme ça.

Un jour, un fin d'année scolaire, j'encadrais une école maternelle de tout- petits, des enfants de 5 ans, 5 ans et demi. Nous étions dans une forêt assez ouverte. Chacun a choisi son arbre pour lui confier un secret.

Une petite fille, jolie comme tout, a pris son arbre comme elle aurait pris son doudou : elle l'a serré dans ses bras, a posé sa joue contre lui, les yeux fermés. Et là, il s'est passé quelque chose.  Un enfant qui a cette relation-là avec un arbre, ne va jamais détruire la nature, ce n’est pas pensable. Il a pris la mesure de la profondeur des choses...

Parce que c’est la société, le rythme de la société dans laquelle on vit qui nous coupe complètement de la nature et de son équilibre. C'est utopique mais si on retournait tout simplement vivre dans des villages, on retrouverait cette solidarité présente dans les quartiers, mais qui n'existe plus dans la grande ville. Tout simplement parce dans un village, on vit au rythme de la nature. Quand il fait chaud on a chaud, quand il fait froid on a froid. Ici, les gens ne râlent pas après le temps, c’est comme ça. On vit avec.

En ville, on a coupé le lien avec la nature. On n'y raconte plus de contes en ville, on regarde la télé.

Les montagnes aussi ont des choses à dire. Elles ont vu tellement de gens passer, tellement de choses, mais on oublie de leur demander.