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Bertrand Magron

Vallée de la Roya

Accompagnateur en montagne et plein d’autres choses encore…

"Dans l’histoire de ces gens-là, on trouve la liberté comme colonne vertébrale."

 

Bertrand Magron

Portrait par Eric Lenglemetz
Recueil de témoignage par Noëlie Pansiot

 

Des montagnes à portée de main

J’ai toujours voulu vivre à la montagne. Je pense maintenant, à posteriori, que ça a toujours été un fil conducteur. Que ça soit là où je suis né en Suisse, là où mes parents m’ont traîné, que ça soit dans le Mercantour tout gamin ou les motivations de mes voyages d’étudiant. Je pense que oui, c’était nécessaire.

Je savais qu’il y avait cet espace refuge dans lequel j’étais bien, qui a toujours été une respiration.

La montagne, c’est presque une voie naturelle quand on vit dans les Alpes-Maritimes, le côté Alpes et Méditerranée a quelque chose d’indissociable. C’est une montagne qu’on a à côté de chez soi, qui est hyper attractive, on la voit partout. 

De l’extérieur, on peut la percevoir comme une montagne proche de la mer, donc peut-être plus accessible que d’autres et un peu adoucie par le temps. Au contraire, c’est un relief extrêmement abrupt : 95% des Alpes-Maritimes forment un espace très compliqué à domestiquer : des gorges, une densité de reliefs. Peut-être parce qu’il y a eu moins de glaciers ici qu’ailleurs. Il n’y a pas eu de grandes ouvertures de vallées qui ont permis des voies de communication et l’industrialisation. C’est aussi ce qui a préservé l’espace rural, ce qui fait qu’on a quelque chose à taille humaine, qui ne dépasse pas l’individu. C’est un microcosme. On se rencontre vite, on se connaît, on n’est pas perdu : ce n’est pas l’anonymat des grandes villes. 

 

Le visage des vallées

Ce territoire a toujours été un espace refuge, ne serait-ce que par sa géographie, son orographie extrêmement défendue, protégée.

Ce n’est pas pour rien qu’on a un Parc national. C’est un espace fort, où chaque vallée a été façonnée par les gens, par le local, et possède son caractère. 

La Roya, ici, c’est une vallée de passage, une vallée d’échange. C’est peut-être pour ça qu’elle m’a attirée même si m’y installer ne me semblait pas évident de prime abord. J’aurais pu partir en Tinée ou en Vésubie, qui sont les voies royales depuis Nice. La Roya c’était un peu un hasard. J’y ai atterri en 1997, comme ça, après avoir passé le probatoire d’accompagnateur et avoir rencontré des gens du coin. Et quand je suis arrivé ici, par contre, ça m’a paru comme une évidence. 

Je me suis dit, c’est peut-être là.

Et moi qui me balade dans les montagnes du monde entier, s’il y a un endroit où je suis content de rentrer, c’est ici. Aujourd’hui, c’est mon attache, quelque part. 

 

Une vallée qui transcende les frontières

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C’est une vallée riche où l’on peut s’interroger sur les frontières. Un territoire qui transcende facilement le côté national. 

C’est aussi une terre de liberté, une terre de bergers qui arpentent leurs montagnes et ne s’arrêtent pas à des limites. Dans l’histoire de ces gens-là, on trouve la liberté comme colonne vertébrale. Ils étaient italiens, ils sont devenus français, aussi simplement qu’on le dit.

 

Le laboratoire de modernité

Habiter en montagne a un côté laboratoire : de nouvelles expériences de vie, peut-être de nouvelles politiques, avec un vivre ensemble, des valeurs tangibles.

Parce que la montagne ne se déplace pas comme ça, il faut faire avec. On est moins tout-puissant, on est moins l’espèce dominante ici, on doit composer. 

On dit que le montagnard est économe de paroles, de gestes. Ce n’est pas mon cas. Mais en effet, vivre ici demande peut-être plus d’énergie, plus de réflexion qu’ailleurs.

Mon boulot d’accompagnateur, ce n’est pas que médiateur d’un espace, d’expliquer ce que l’on va trouver, toute la richesse du Mercantour. On a un espace qui est extraordinaire mais ce n’est pas que ça. Le repère humain est essentiel. Ce partage de vécu, ce partage d’expérience et cet échange de regards. Je pense aider notre public à se ré-approprier un regard critique, du libre arbitre sur les choses. On renvoie quelque part des repères un peu atypiques dans un monde qui recherche de la standardisation, dans ce que l’on fait, dans ce que l’on vit, dans ce que l’on consomme.

Montrer qu’il existe aussi d’autres chemins et que l’expression du choix peut-être possible, bien sûr. Et quand certains en ont envie on leur dit « mais allez-y, venez vous installer ! ».