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Annie George

Haute vallée du Var

Responsable de l'office du tourisme et du musée à Guillaumes

"Ce n’est pas un musée où on met des objets en exposition, c’est une vie qu’on met en exposition."

 

Annie George

Portrait par Eric Lenglemetz
Recueil de témoignage par Noëlie Pansiot

 

Les liens de village

Mes parents ont acheté dans un village à 10 km d’ici. Toute petite, j’ai connu l’ambiance de village, avec les vieux, les soirées contes, les tartes, les tisanes. Et quand j’ai rencontré mon mari dans ce village-là, il m’a annoncé qu’on allait vivre à Guillaumes, où j’ai retrouvé cette ambiance : les tartes, les tisanes, les vieux, le musée des arts et traditions avec tous les objets que j’ai connus chez des personnes du village. Et donc je me suis peu à peu attachée à ce village qui a une histoire impressionnante. Le fait de m’occuper du musée m’a permis de rentrer dans les foyers et dans la vie des gens, de connaître leur attachement, leur histoire et leur progression dans le village et ça, c’est passionnant. J’ai retrouvé ces racines que j’avais connues toute petite dans le village à Sauze.

C'est passionnant de connaître leur vie, parce que la vie d’avant n’a plus rien à voir avec maintenant, qui est mangé par Internet et par tout ce qui peut grapiller sur la solitude.

C’est affreux maintenant. Mais avant, il y avait une vie qui était passionnante, une vie de partage, avec des anecdotes incroyables. Il y a des vieux qui ont une mémoire d’enfer !

 

La mémoire des anciens

Par exemple, c’est un monsieur qui est né il y a plus de 100 ans et qui a connu la place non goudronnée. Petit garçon, il n’a eu qu’une envie, c’était d’ouvrir le tonneau de goudron. Et là, le tonneau lui a explosé à la figure, et il s’est retrouvé couvert de goudron. Du coup, il a fini dans le lavoir avec les vieilles, la brosse à chiendent... J’ai trouvé ça génial : tout nu devant les mémés, pour essayer de le sauver ! Et c’est tout ces petits trucs qu’on ne connaît plus, et qu’on ne connaîtra plus jamais. C’est pour ça que c’est super la mémoire...

La vie va tellement vite, que si on ne transmet pas cette mémoire, elle va se perdre.

Au niveau du musée, je reçois beaucoup de classes et je leur transmets justement cette évolution de la vie qui fait qu’en 60 ans, on a basculé. Et je trouve ça très dommage parce qu’on va trop vite, on zappe trop, on ne se pose pas. Ici, ce qu’il y a de bien, c’est que dans ce village, à Guillaumes, grâce aux personnes plus âgées, et bien on retrouve encore cette mémoire, ce temps de parole et ce temps de partage. Heureusement d’ailleurs, qu’il y en a encore. 

Avant, il y avait une solidarité importante, les gens s’aidaient les uns, les autres. Quand quelqu’un était dans le besoin, on allait l’aider. Quand on ne voyait pas les volets ouverts, on s’inquiétait de suite. Ça, c’était avant. Maintenant, les vieux sont partis, les jeunes vieux sont arrivés, avec l’impact de la ville, et ce n’est plus pareil. Ils sont plus dans la solitude de leur appartement que dans le partage. On a encore quelques vieux, heureusement, où on s’occupe d’eux, on les cocoone, on va dire. Mais on sent la ville qui arrive, avec l’individualité et ça, c’est un petit peu difficile. Alors petit à petit, on les apprivoise et on arrive à leur faire partager des choses mais on sent quand même le poids de la ville.

Il y a aussi une autre dame, qui, a 100 ans, me racontait certaines fredaines qui se passaient au château. 

Quand on voulait compter fleurette et bah, c’est au château qu’on montait et là, je vous dis pas, c’était… On a pas pu avoir de noms, ça c’est pas possible mais on a eu des anecdotes de gens qui se cachaient pour arriver à rencontrer leur copain. Et ça ce sont des petites anecdotes que seuls les vieux connaissent parce que nous, on ne connaît pas tout ça.

Alors dans le musée, ce qu’on a de sympa, ce sont les objets. On a déjà la coopérative laitière, qui était là il y a 110 ans, 120 ans même. Et on a le 1er fossile trouvé dans les Alpes-Maritimes, qui a 80 millions d’années, découvert en même temps avec le Parc. On a différents objets qui permettent de voir la vie au 19ème siècle. On a des cuves qui ont plus de 300 ans. On a une vie ancienne et grâce à ce qu’on a fait, on a pu recréer une ambiance de vie, où on a l’impression que le temps s’est arrêté.

Ce n’est pas un musée où on met des objets en exposition, c’est une vie qu’on met en exposition.

L’histoire me passionne et ce qui est important, c’est qu’on a l’impression de revivre leur vie avec les gens quand on partage. Je trouve que c’est un conte, c’est une histoire. Le fait de revenir en arrière permet de partager des émotions, qu’on a moins maintenant et moi, c’est ce côté plaisir de partage qui me plaît.

 

La montagne, un trésor d’ingéniosité

Alors on peut raconter que c’est une terre où la vie était difficile, très difficile, mais les gens étaient innovants, constructifs. Puisqu’on n’avait rien, il fallait trouver, chercher, être inventifs. 

Je trouve que c’est exceptionnel parce que de nos jours, c’est facile avec la route mais il faut s’imaginer dans le temps où on était bloqué sur place, on avait rien, donc il fallait trouver des solutions. J’ai trouvé tous ces gens-là passionnants par le fait qu’ils créent et c’est extraordinaire de trouver des solutions avec rien. Il fallait des solutions à tout, puisqu’on n’avait rien et ça, c’est super. 

Vous vous rendez compte qu’à Guillaumes, il y avait des juges, des avocats, des commerçants, puisque tous les gens venaient chercher à Guillaumes tout ce qu’on ne trouvait pas ailleurs. Au musée, on a un landau qui a été fait ici avec des ronces, parce qu’il n’y avait pas de matériel, donc il fallait trouver, garder, protéger, puisque la vie était très difficile. On a eu la 1ère centrale électrique en 1901, avant Cannes. Alors vous voyez, il fallait sortir du lot ! Maintenant, on n’en est plus là. C’était une vie où les gens se prenaient en main, n’attendaient pas et ça, c’est super. 

 

La montagne, la dure réalité d’autrefois

La nature, elle reste, c’est évident mais maintenant, elle est beaucoup plus ouverte que ce qu’elle était. Elle est beaucoup plus accessible aux gens. Quand on parle aux gens qui vivaient ici avant, pour eux, c’est pas ce qu’on a maintenant, c’était pas le bonheur de connaître la montagne, c’était la difficulté de la vivre. 

On est pas dans la même émotion. La montagne, c’était une vie dure, alors que maintenant la montagne, c’est un lieu d’évasion, on n’est plus sur la même façon de voir la montagne.