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François Guerinot

Vallée de la Vésubie

Apiculteur

« Il m’a dit : c’est infernal ! Des coins comme ça, on en trouve nulle par ailleurs.  »

François Guerinot

Portrait par Eric Lenglemetz
Recueil de témoignage par Noëlie Pansiot

 

 

Une activité entre mer et montagne

Avec mon épouse, on est installé tous les deux. Cette année, on a eu de la casse. On a eu un hiver terrible et on a perdu beaucoup de ruches. Ca fait 30 ans qu’on fait de l’apiculture ici. C’est très intéressant parce qu’on est en moyenne montagne, environ à 1000 mètres d’altitude. On déplace les ruches entre le littoral méditerranéen et le haut de la Gordolasque, dans le massif du Mercantour. On monte les ruches jusqu’à 1700 mètres pour la miellée de rhododendrons. Entre le littoral dans la zone Canne et Nice et la haute Gordolasque, on va mettre les abeilles sur des zones extrêmement variées, où on rencontre des végétaux qu’on peut trouver aussi bien en Afrique qu’en Arctique, c’est incroyable ! On est dans une zone très restreinte mais avec une diversité florale absolument incroyable et de ce point de vue là, c’est très intéressant au niveau de l’apiculture.

Quand on déplace les ruches c’est comme les moutons à la limite, on transhume. Normalement, les abeilles passent l’hiver sur le littoral, sauf que ça ne marche plus maintenant à cause du frelon asiatique.

Au printemps, la végétation méditerranéenne démarre très vite et très fort, donc c’est très intéressant pour développer des essaims et le cheptel. Ensuite, dès que les ruches sont en condition, on les monte en moyenne montagne, dans une zone échelonnée entre 500 mètres d’altitude et 1000 mètres d’altitude. Là, selon les saisons, on va faire de l’acacia, du tilleul, du châtaigner, de la prairie. Ensuite, quand l’été arrive ou à la fin du printemps, on va monter beaucoup plus haut, pour faire du rhododendron, de l’épilobe, du thym serpolet, donc des miellés typiques de la montagne. Une partie du cheptel part aussi sur les lavandes, sur le plateau de Valensole, entre Digne et Manosque.

 

Le miel a la saveur du terroir

Tout ça nous permet de faire des tas de miels différents, et de répondre à la demande  : on a des miels forts, des miels plus fins, tout ce qui peut intéresser les gens. On vend toute notre production en vente directe.

L’intérêt de la zone ici, c’est que dès qu’on change d’altitude, de versant, de vallée, immédiatement on change de zone mellifère et on a une grande variété de miels qui est extrêmement intéressante. Entre un miel de rhododendron et un miel de châtaigner, ça n’a absolument rien à voir au niveau des goûts, de la couleur... La zone ici offre donc une grande palette de goûts. (…)

Moi, j’ai un faible pour le rhododendron. C’est un miel qu’on a découvert un peu par hasard. La végétation dans le haut de la Gordolasque s’échelonne entre 1500 m et 2600 mètres d’altitude, dans un paysage qui est absolument magnifique. La miellée de rhododendron se fait beaucoup dans le Pyrénées, mais dans les Alpes, très peu en font. Un jour, on a commencé et on a découvert ce miel extrêmement fin, carrément du bonbon fondu ! C’est un miel très clair, très fin, il a une cristallisation qui est superbe. (...) Il est absolument extraordinaire. Du coup c’est le 1er miel qu’on a osé présenter au concours à Paris. Avant, on se disait qu’on était pas capable de faire ça, mais un jour, on a osé et on a même débouché une bouteille de champagne avec mon épouse, simplement parce qu’on avait été accepté au concours ! Et on a eu une médaille d’argent, ce qui est vraiment super.

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Vivre ici, un mode de vie

C’est le hasard le plus total. Je crois que c’est Albert Jacquard qui dit ça : « je suis la somme de mes rencontres. » C’est dû aux rencontres… Avec Patricia, mon épouse, on commençait à en avoir marre à la fois du boulot qu’on faisait et puis du climat de Grenoble. Tous les week-end, on allait grimper à la Sainte Victoire, à Bioux.... On logeait chez un copain qui avait une petite maison dans la campagne et il avait des ruches. C’est aussi simple que ça. On s’est dit, tiens, et si on s’installait ? Du coup, j’ai fait une formation professionnelle en apiculture. On s’est installé à Belvédère, ça n’a pas marché tout de suite et ça n’a pas été facile mais c’est vrai qu’on s’est rendu compte que ça nous convenait parfaitement .

C’est très curieux, parce que quand j’étais ado à Grenoble, je me suis tellement éclaté à faire de l’alpiniste et du ski, que je voulais devenir guide de haute montagne et moniteur de ski. Normal. Et mon père qui était chercheur et enseignant, m’a dit « hors de question, tu feras des maths et tu deviendras ingénieur ».  Normal. Je lui ai dit « pas question ! . Finalement, j’ai respecté le désir paternel et j’ai fait Maths Sup, Maths Spé. J’ai commencé à présenter des concours et je me suis dis mais c’est pas possible ça ! Je suis devenu éducateur pour être dans la rue, dehors,et ça n’a pas marché non plus. Finalement je me suis retrouvé apiculteur en montagne. Et c’est une fois arrivé là que je me suis dit que c’était comme si j’étais indépendant en montagne. Alors ce n’est pas par l’alpinisme et le ski, mais c’est par les abeilles.

C’est d’abord un mode de vie : être en montagne, indépendant. Il se trouve qu’en plus, avec l’abeille, c’est un régal. car c’est un insecte absolument fascinant, et c’est un métier passionnant. Ca fait 30 ans que je fais ça, et je ne m’en lasse pas du tout, au contraire, malgré toutes les difficultés qu’on peut rencontrer maintenant.

C’est un métier stimulant. Ce n’est pas que le métier. C’est le mode de vie qui nous convient parfaitement. Je ne sais pas comment dire. Oui, je ne sais pas comment je pourrais exprimer ça.

C’est une extrême sérénité, le vrai plaisir d’être en harmonie, dès le début de la journée, dès que ça commence, dès que le soleil éclaire dehors. Et dès que tu entends bourdonner les abeilles, c’est un véritable plaisir. En plus, mon lieu de travail, c’est la nature, ici, autour du village, c’est en montagne. Ce sont des coins incroyables. Donc c’est... je ne sais pas moi, quoi dire, c’est vraiment le panard ! Et surtout ça dure. Comme j’ai fait des tas d’autres jobs avant, on pourrait croire que finalement ça va passer mais pas du tout parce c’est le fil directeur. Le mode de vie professionnelle qui se mélange avec la vie, la vie privée. Ou la vie privée qui se mélange avec la vie professionnelle. Je ne sais pas comment dire. Les deux vont parfaitement ensemble.

 

Observer la vie

Et puis il y a quelque chose que j’ai appris à faire et que je ne faisais jamais avant moi qui n’avais strictement aucun sens de l’observation : c’est regarder. Regarder les abeilles , on est absolument obligé de le faire en apiculture, pour que l’activité soit rémunératrice et qu’on puisse en vivre. Il faut absolument regarder dans le détail comment les abeilles vivent et sont, en lien avec leur environnement. Ca développe tout de suite un sens de l’observation et c’est toujours extrêmement stimulant de regarder ce qui se passe autour de soi et de regarder ce qui se passe autour de l’abeille.

Ensuite, on agit en conséquence. Et pour revenir sur le sujet du changement climatique, on a intérêt à être de plus en plus attentif, parce que les les lignes sont en train de bouger, c’est très clair.

Les abeilles, c’est l’extrême adaptation aux conditions locales, c’est impressionnant. S’il n’y a pas une extrême adaptation aux conditions locales, la vie de la colonie est hypothéquée.

C’est très intéressant de voir à quel point ces petits insectes ont une capacité d’adaptation extrêmement rapide. Dès que vous transhumez des ruches, regardez-les faire : moins d’une heure après, ça y est, elles rentrent du pollen, du nectar, elles ont orienté la ruche dans leurs environnement, elles se mettent au boulot. C’est quelque chose d’absolument fascinant à regarder.

 

La vie des anciens

C’est ça les bruits de mon enfance, le bruit des sabots des mulets dans les ruelles du village et le bruit du bidon de lait qu’on déchargeait. Ca, je n’y peux rien, ça m’a littéralement marqué. Et en sillonnant les montagnes avec les ruches, je repérais les anciens chemins, les anciens murs, les canaux qui étaient faits en pierres, les anciennes fromagerie où on stockait les fromages, les anciennes glacières et je réalisais qu’en fait, les générations d’agriculteurs qui nous ont prédécédés, elles se sont battues littéralement contre la pente.

 

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